C’est la plus jeune des professions de la filière immobilière : on peut dater la naissance du métier de diagnostiqueur à la création par le législateur, à la fin de 1996, de la première obligation diagnostique lors de la vente d’un logement en copropriété, l’indication de la superficie. Gilles Carrez, alors député et maire du Perreux, en région parisienne, avait déposé une proposition de loi pour que les acquéreurs de logements bénéficient d’une transparence objective quant à la surface réellement habitable du bien. Deux considérations avaient prévalu à cette nouvelle contrainte pour les vendeurs, étendue en 2009 aux mêmes logements mis à la location : était-il normal que le consommateur connaisse au millilitre près le contenu d’une bouteille achetée de jus de fruit ou de vin, par celui d’un bien immobilier autrement plus cher ? En outre, la notion de prix au mètre carré avait fini par s’imposer dans les marchés tendus et la comparaison entre deux logements, dans deux localisations, était rendue hasardeuse sans mesure exacte de la superficie. Il a fallu pour répondre à ce besoin d’information juste que des opérateurs dûment formés et équipés pour cet acte de mesurage apparaissent et apportent le service.

 

Certes, on a alors vécu le temps de l’illusion : les agents immobiliers, les particuliers mêmes seraient bien capables de procéder au mesurage, et les lois successives, en 1996 et 2009, n’obligeaient pas à une intervention professionnelle… Les questions de responsabilité et d’indépendance ont vite imposé le recours à des femmes et des hommes de l’art. Une profession venait de naître. Son périmètre d’action n’a cessé depuis de s’élargir sous l’effet de la volonté des pouvoirs publics de toujours plus de transparence et de protection du consommateur, dans l’univers du logement plus qu’ailleurs eu égard au poids des enjeux. Une quinzaine de diagnostics - 11 exactement à ce jour - doivent être établis et fournis à un acquéreur. Le plus célèbre désormais, qui a effacé la popularité de tous les autres, est le diagnostic de performance énergétique (DPE). Il faudrait plutôt parler de crainte et d’impopularité, parce qu’une mauvaise note emporte des conséquences. Lourdes, dévalorisation du bien et interdiction de le louer ou de le relouer.

Les débats vont bon train tous azimuts autour de ce DPE : comment améliorer sa fiabilité ? Est-il normal de n’en retenir que la plus mauvaise note des deux qu’il fournit, consommation et émission de gaz à effet de serre ? Ne faut-il pas admettre par la loi des exceptions à l’interdiction de mettre en location ? Dans quels cas ? Le calendrier des interdictions n’est-il pas inatteignable ? Certains mènent aussi des combats pour accentuer encore le degré d’information sur les biens : une figure de l’immobilier, qui a perdu dans une avalanche et la destruction de sa maison l’un de ses fils, se bat depuis 30 ans avec la dernière énergie pour que l’exposition à ce risque soit mentionné dans les régions concernées… contre les maires craignant la stigmatisation de leur station ou de leur commune. Bref, le besoin de tout savoir sur un bien et l’impératif de réalisme, qui peut conduire à le tempérer ou l’aménager, alimenteront longtemps les discussions et la réflexion des décideurs publics, et c’est heureux finalement.

«Une séparation qui complique la représentation de la profession»

Au même moment, la jeune profession de diagnostiqueur, âgée d’à peine plus de 35 ans, s’offre un luxe : celui de multiplier les syndicats qui la représentent, en offrant aux pouvoirs publics un nombre impressionnant d’interlocuteurs. Ce ne sont pas moins de cinq organisations qui constituent le paysage syndical de cette profession. Chacune a sa raison d’exister et il n’est pas question de porter un jugement sur ce sujet ontologique. Il reste que cet éclatement est préjudiciable à l’efficacité syndicale et complique la tâche des décideurs alors qu’ils ont la mission d’améliorer et de stabiliser l’arsenal diagnostique et les pratiques. Le plus récent avatar de ce petit monde - on dénombre 10 000 diagnostiqueurs personnes physiques en France - est la sécession de la Chambre des diagnostiqueurs de la FNAIM, qui a quitté le giron de la grande maison, provoquant la création d’une Chambre autonome et la recréation d’une Chambre à l’intérieur de la FNAIM. La raison ? Le risque que l’appartenance à un syndicat de donneurs d’ordre n’obère l’indépendance des diagnostiqueurs… au terme d’une appréciation extensive du risque : la Chambre nationale des experts de la FNAIM, famille professionnelle très ancienne et très reconnue, n’a jamais été soupçonnée de nourrir en son sein des professionnels coupables de faiblesses envers les agents immobiliers ou les gestionnaires demandant pour leurs clients propriétaires une évaluation à des fins fiscales par exemple. Peu importe au fond la cause de la séparation : elle a pour effet de compliquer la représentation dès lors qu’elle entraîne la recréation d’un énième syndicat.

Au passage, on en vient à se rappeler la phrase de Staline, «Le pape, combien de divisions ?» : la dispersion syndicale fait que chaque syndicat n’a qu’une portion réduite du corps professionnel. Seul le syndicat qui regroupe l’essentiel des enseignes nationales, sociétés intégrées ou franchises, Sidiane, peut revendiquer une forte représentativité en termes de parts de marché, sans doute les deux tiers pour le DPE par exemple. D’ailleurs, cette situation de dispersion fait courir un autre risque : une partie des diagnostiqueurs, ayant du mal à choisir et à déterminer à quel saint se vouer, ne se syndique pas, se privant de l’information et de la formation que ces syndicats proposent. Sans compter l’altération du crédit public de cette profession dont le rôle est devenu cardinal pour le patrimoine et la vie des ménages en quelques années. Les médias la malmènent, en exhumant des cas qui témoignent que le chemin vers la respectabilité sera long. C’est au point même que le gouvernement, qui ne se mêle pas souvent des affaires internes des syndicats, ne cache pas regretter cette multiplication de marques syndicales et appelle de ses vœux une alliance.

Ce mouvement a-t-il commencé ? Des indices le laissent accroire. Ainsi, deux de ces syndicats, la Fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (FIDI) et l’ex-CDI FNAIM, ont créé ensemble l’Alliance du diagnostic, avec l’ambition d’embarquer les autres… Pour l’instant, pas d’effet. Sidiane de son côté, à l’annonce de l’irrédentisme de la CDI FNAIM, sortant de la FNAIM, a provoqué des discussions pour qu’un accord fût trouvé et pour accueillir les diagnostiqueurs nostalgiques du lien avec la FNAIM et éviter l’émergence d’une représentation de plus. A ce jour, ces pourparlers n’ont pas prospéré et la volonté identitaire de la FNAIM pourrait bien n’être pas compatible avec un tel accord. Le cinquième syndicat, FedExpert, tire à bon compte profit de cette agitation, et communique tous azimuts.

«Des voix s’élèvent pour réclamer un ordre»

En attendant, les diagnostiqueurs ne poussent pas en mêlée et les syndicats, qu’ils le veuillent ou non, en dépit des efforts déployés par quelques-uns pour unir la profession, offrent le spectacle délétère d’une profession qui ne s’entend pas avec elle-même alors qu’elle est loin de la maturité : la filière est à peine en voie de structuration, ne disposant notamment pas encore de cycles de formation initiale y menant, ni de convention collective propre, ni d’organe de contrôle, de discipline ou de régulation. Des voix s’élèvent même pour réclamer un ordre, qui mette par la loi tout le monde d’accord. Encore faudrait-il que les organisations syndicales le veuillent, et par définition elles entendent que la profession peut s’organiser sans aller tirer la manche de l’Etat, au risque de ne pas se montrer sous son meilleur jour, celui de la responsabilité et de l’intelligence collective.

Le problème, ce ne sont d’ailleurs pas les professionnels, mais les enjeux dont ils sont porteurs et les solutions qu’ils incarnent. Tant qu’ils peineront à créer un ou deux syndicats forts, crédibles, exigeants, capables d’éclairer les pouvoirs publics avec compétence, ils porteront malgré qu’ils en aient préjudice à leur image et inquièteront la population. Ils doivent pourtant accomplir la mission exactement inverse : rassurer et fonder les décisions de travaux pour améliorer les patrimoines. Ils sont en réalité la pierre angulaire de la politique de valorisation des biens des Français et en particulier de la réussite de la transition environnementale du parc. Une preuve indiscutable ? L’envie des jeunes et des moins jeunes d’embrasser cette carrière : voilà qui oblige la communauté professionnelle à plus de raison.